Against the grain
Il y a peu j'ai lu un livre fascinant, Against the grain, d'un garçon épatant, James C. Scott. Je vais résumer grossièrement au point de caricaturer, mais en gros il s'élève en faux contre l'idée que "culture" et "civilisation" telles qu'on les conçoit en Occident sont nécessairement un progrès. On prétend souvent que la vie avant le Néolithique était brève et brutale, tandis que la sédentarisation et l'agriculture, puis l'invention de l'écriture et celle de la notion d'Etat ont apporté un peu de sécurité et de confort. Ainsi, de l'homme préhistorique au paysan puis au moderne dans le métro, on aurait en quelque sorte amélioré la condition humaine. En fait les fouilles archéologiques montrent que les nomades préhistoriques étaient plus grands, mieux nourris et moins violents que leurs descendants agriculteurs.
Comme je ne peux pas résumer tout le bouquin ici, je donne donc l'information qui m'a le plus sidérée. Un néolithique consacrait 17 heures hebdomadaires à glaner sa subsistance de 2 300 calories quotidiennes, un paysan primitif 25, un New Yorkais d'aujourd'hui 40.
Et moi? Moi bien plus depuis l'ouverture de The Dolls Company. Certes, ça n'est pas très malin, mais au moins ça a le mérite de me faire découvrir le monde enchanteur du commerce en ligne.
Je dois dire que quand ma copine Cécile m'a créé ma boutique, je m'imaginais naïvement qu'il allait suffire que je mette des bidules dessus pour que les gens les achètent.
Je croyais grosso modo que le commerce c'était tu proposes un truc et les gens te donnent des sous en échange.
En fait pas du tout, il appert que les gens en général n'ont pas la moindre envie d'acheter des trucs, surtout d'ailleurs quand ils ne les connaissent pas, ni ne savent qu'ils sont à vendre.
C'est pourquoi j'ai dû acquérir des notions de marketing, et même de marketing à l'ère numérique. J'ai par la même occasion compris immédiatement pourquoi j'avais attendu quarante ans pour m'en soucier.
Le marketing à l'ère numérique ça se décline en plusieurs tortures:
1) Prendre des photos flatteuses de vos "produits" aux heures les plus auspicieuses de la journée, pour une lumière alcyonienne, et ce dans un décor prétendument paisible et immaculé - pour suggérer le luxe, le calme, la volupté.
2) Ces photos, les choisir, les inventorier, les classer, les charger, les nommer, les mettre en ligne.
3) Construire, alimenter (très régulièrement rapport aux algorithmes de Google) et maintenir un site Internet. Paniquer quand il est en panne.
4) Paniquer aussi quand personne n'y vient, quand il n'y a pas de ventes, quand la marchandise stagne. En tirer des conclusions sur sa valeur personnelle et le destin de l'univers.
5) Du coup réaliser qu'il va falloir aller chercher le chaland sur les réseaux dits sociaux. S'initier à Facebook. Trouver ça absurde et chronophage. Charger d'autres photos, écrire des publications variées, paniquer si personne ne les aime. Faire pareil sur Instagram.
6) Comparer finalement le temps passé à coudre des poupées à celui passer à les photographier, les mettre en ligne, les exhiber.
7) Dans le même temps réaliser que les talents de "photographie produit" durement acquis sont déjà obsolètes. Maintenant, hors de la vidéo, point de salut sur les réseaux sociaux
8) Simultanément recevoir enfin la notification d'ouverture de l'auto entreprise (car il ne s'agirait pas de gruger les impôts)
9) Etre ensevelie sous des dizaines de courriers d'organismes variés aux acronymes incompréhensibles
10) Commencer à réaliser que oui, les frais bancaires plus les impôts ça fera bien 25 % du chiffre d'affaire. Du chiffre d'affaire, hein, pas du bénéfice.
Bref, je ne m'attendais pas à tant de tracas. J'aime toujours autant faire les poupées, mais alors les vendre...c'est une autre histoire!
Ce qu'il y a de bien, quand même, c'est que ça me fait un nouveau sujet pour me plaindre. Comme ça ça change un peu.
Pour le reste, l'automne a presque failli bien se passer.
Les enfants sont passés par une phase couture...
Puis ça a été la guitare...
Puis ça a été Halloween.
Il a encore fait beau quelques jours
Le temps de faire plusieurs belles balades
De socialiser dans les prés voisins...
Puis bien sûr ça s'est gâté.
On a rencontré une araignée géante
J'ai avancé dans mon immense quilt - il ne reste "qu'à" le doubler, le tripler, le quilter et poser le biais.
L'hiver nous est tombé dessus.
Et puis c'est là que je me suis cassé le gros orteil.
On ne peut pas dire que ça soit réellement grave en soi, mais pourtant, quelle galère... Au bout de trois semaines je commence à peine à clopiner moins, mais je ne peux toujours pas mettre mes chaussures ni me déplacer normalement.
Du coup quand même mon moral finit par s'en ressentir. Non pas que j'aie été extraordinairement sportive, mais quand même, de là à ne plus pouvoir bouger du tout...ça me rend plus acariâtre encore que d'habitude...
Sinon, comme les désirs de Mon Guru sont des ordres, j'ai pris en note à son intention un dialogue de Lutins. Il date un peu, mais enfin, il est authentique. Les lecteurs pas concernés peuvent abandonner leur lecture ici, sinon Guru, voilà:
La Créature: Y s'appelle comment, lui?
Le Lutin: Dogo
C: D'accord, alors Dogo, Evil et Chien- chien. Mais c'est pas assez trois élèves. Va en chercher d'autres, mais pas des nuls comme Gros Lapin Gris ou Babar.
L: Ton cerf, y s'appelle comment?
C: Céru.
L: Okay. Pardon Céru, pardon Titi, pardon Ourson, je passe, là. Tu t'appelais comment, toi, dans le jeu?
C: Ben je m'appelais Collègue vu que j'étais ta collègue.
Silence
L: J'ai le droit de comptiner une comptine?
C: C'est pas une comptine c'est un poème!
L: J'ai le droit de poésier une poésie?
C: Au fait ça veut dire quoi "décapuciner"?
Silence
L: Tu sais comment je m'appelle!
C: Mais non! Ah, si, Oscar?
L: Mais non, tu sais bien!
C: Bon, ben alors un nom de quoi? Un nom de véhicule?
L: Mais non, un nom d'animal marin voyons!
C: Ah oui! Squale? Wunderbar! Wunderbar ça veut dire "magnifique", tu sais!
L: Tu m'as bien dit que Mozart était mort?
C: Moui.
C: Mais quand tu ouvres le frigo Mozzarella.